La photo de la première réunion de la CPE : une nouvelle image de l’Europe ?

Photo de famille

6 octobre dernier. Quarante-deux chefs d’Etat ou de gouvernement européens sont rassemblés pour une photo, inévitablement un peu guindée, sous la voûte gothique majestueuse mais un rien sinistre de la grande salle du Château de Prague. La justification du lieu, c’est la présidence dite « tournante » du Conseil de l’Union européenne que la République tchèque assure en ce deuxième semestre 2022 ; la justification de ce rassemblement aussi pléthorique et peu ordinaire de (presque) tous les dirigeants européens, c’est la réunion, pour la première fois, de la toute nouvelle CPE, la Communauté politique européenne dont Emmanuel Macron a lancé l’idée quelques mois plus tôt, alors que la France exerçait ladite présidence. Ce dernier occupe, de ce fait, une place centrale au premier rang aux côtés de son hôte, le Premier ministre tchèque Pietr Fiala ; aux extrémités, ou presque, de ce premier rang, Charles Michel, le Président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission.

Hormis ceux que nous venons de citer, combien de ces visages nous sont familiers ? Bien peu. Si celui de Recep Tayyip Erdoğan est loin de nous être inconnu, pas plus que ne l’est la silhouette massive du Hongrois Victor Orban, le premier sur la gauche, la plupart des autres le sont : on devine peut-être, tout en haut, et 4ème en partant de la droite, le crâne dégarni du chancelier Olaf Scholz ; à l’autre bout de la même rangée, elle aussi en partie masquée, la chevelure blonde de la toute nouvelle (et éphémère) Première ministre britannique Liz Truss, et au 2ème rang la stature du chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez… Mais qui connaît – et reconnaît sur la photo – Mark Rutte, le premier ministre des Pays-bas, Kaja Kallas l’Estonienne, Alexandar Vucic, le Premier ministre serbe, ou encore Ilham Aliev, le dirigeant azeri qui, et ce n’est pas un hasard, a été placé aux côtés de son indéfectible allié turc et que son adversaire du moment, l’Arménien Nicol Pachinian, est relégué au 2ème rang ?

Il ne faut pas s’imaginer en effet que les quarante-quatre invités ont été placés ainsi de façon aléatoire ! Nous sommes dans un cadre tout ce qu’il y a de plus officiel, et de surcroît diplomatique ! Rien n’est donc fait au hasard, même si la prise en compte des inimitiés ou des susceptibilités personnelles ou politiques du moment n’a pas rendu la chose facile. Pas au hasard, en effet, si Kyriakos Mitsotakis le Grec est à distance respectable de son puissant voisin ottoman ! L’apparence paisible de cette photo de groupe masque à l’évidence les fractures qui traversent aujourd’hui le continent européen, et, dans une moindre mesure, l’Union européenne.

Pas un hasard enfin si un acteur majeur de la scène politique du continent européen, et qui serait, celui-là, tout à fait identifiable, ne figure pas sur la photo. Du fait de la situation géoplitique actuelle, Vladimir Poutine, comme son comparse Loukachenko, n’a pas été invité. Volodymir Zelenski, lui, évidemment retenu dans son pays, n’est apparu, pour lancer les débats de cette journée, qu’en visio.

Quelle image du continent européen cette photo de ces dirigeants nous donne-t-elle ?

Celle d’un monde très masculin d’abord : sur les quarante-quatre participants, seulement huit femmes, que le photographe ou le grand ordonnateur de l’événement n’a d’ailleurs pas cherché à mettre vraiment en valeur, dispersant quelques taches colorées dans un ensemble peu audacieux de costumes sombres et de cravates. Notons aussi que parmi ces huit femmes, beaucoup d’entre elles – nous l’avons dit pour Liz Truss – sont de nouvelles figures politiques européennes.

Une Europe politiquement fragmentée ensuite : plus de quarante dirigeants (dont, bien sûr, les vingt-sept que compte l’Union européenne) pour un continent dont la place sur la scène mondiale n’est plus prépondérante. Si tous occupent, sur la photographie, le même espace, il est bien évident que la représentation politique et diplomatique de la Première ministre islandaise ou de son homologue du Liechtenstein n’a pas le même poids que celle d’un Olaf Scholz, d’un Recep Tayyip Erdogan ou d’un Emmanuel Macron.

La CPE est néanmoins la nouvelle organisation qui a été conçue par ce dernier pour répondre au défi russe en tentant de fédérer des intérêts souvent divergents.

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