La nouvelle attitude européenne de la diplomatie allemande

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Article rédigé le 15 avril 2022

En Allemagne, la nouvelle coalition tripartite composée du SPD (socio-démocrates), des Verts et du FDP (libéraux), a signé un contrat de coalition le 24 novembre 2021 avec une orientation résolument européenne et multilatérale. Mais la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 a bousculé la diplomatie allemande. L’incertitude sur l’issue de l’élection présidentielle en France au moment où cet article est rédigé obscurcit également l’avenir de la relation franco-allemande et plus largement de l’Union européenne.

La perspective d’une orientation plus européenne de la diplomatie allemande

Après les seize années au pouvoir d’Angela Merkel, marquées par un certain immobilisme à l’égard de l’approfondissement de l’intégration européenne, sur le papier l’accord de coalition s’est prononcé pour aller vers une « Europe fédérale », mais cette perspective est loin d’être partagée parmi les 27 pays membres.

Dans le système politique allemand, la politique étrangère et de défense n’est pas le domaine réservé du chancelier ; il en fixe les lignes directrices, mais la mise en œuvre détaillée dépend des ministres concernés. On peut s’attendre à une importante modification de la diplomatie allemande avec l’arrivée au ministère de Affaires étrangères d’Annalena Baerbock, co-dirigeante des Verts, qui prône une politique plus fondée sur les valeurs et les droits de l’homme et moins dictée par les intérêts économiques. Cela vise à la fois des pays membres de l’UE accusés de ne plus respecter l’état de droit comme la Hongrie et la Pologne, mais également les relations avec des régimes autoritaires en dehors de l’UE comme la Chine, la Russie et la Turquie. Les événements internationaux survenus depuis le début de l’année 2022 viennent bousculer les engagements de la nouvelle coalition.

Les conséquences de l’agression russe dans les domaines de la défense et de l’énergie

L’agression russe a provoqué une véritable révolution copernicienne pour l’Allemagne dans le domaine de la défense, la poussant à sortir de sa neutralité militaire historique (1). Dans une séance extraordinaire au Bundestag le 27 février 2022, le chancelier Olaf Scholz a annoncé l’autorisation de livraisons d’armes à l’Ukraine et une hausse substantielle des dépenses militaires qui seront portées de 1,5 % à plus de 2 % du PIB par an d’ici 2024, ce qui représente une augmentation de près de 100 milliards d’euros. Le Conseil européen des 24 et 25 mars 2022, sous présidence française, a été largement consacré à la souveraineté européenne (2) : les dirigeants européens ont adopté une « boussole stratégique » qui vise à définir les intérêts vitaux de l’UE avec des dispositifs industriels et militaires garantissant une autonomie à l’égard des États-Unis. Cependant le contrat de coalition rappelle que l’OTAN reste « une condition indispensable de la sécurité » de l’Allemagne et le chancelier allemand a décidé d’acheter des avions américains F-35 pour remplacer les vieux Tornado, écartant ainsi le projet européen d’avion de combat SCAF soutenu par la France.

De même les pays de l’UE, et en premier lieu l’Allemagne, ont pris conscience que la dépendance à l’égard des énergies fossiles importées de Russie est une vulnérabilité géopolitique. Dès le 22 février, après la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance des deux républiques séparatistes du Donbass, Olaf Scholz a suspendu l’entrée en service du gazoduc baltique Nord Stream 2. La mise en place de solutions alternatives prendra du temps ; elles passent par une diversification des fournisseurs, des achats groupés et une plus grande coordination des politiques énergétiques en Europe. Ce ne sera pas un chemin facile, car les politiques nationales sont divergentes dans ce domaine depuis le premier choc pétrolier.

Les débats au sein de la coalition allemande

L’Allemagne n’est plus vue comme un pays modèle de l’Union européenne : l’ancienne chancelière Angela Merkel est aujourd’hui sévèrement critiquée pour ses choix diplomatiques et énergétiques et le président social-démocrate Frank Walter Steinmeier a reconnu le 5 avril 2002 avoir commis une « erreur » en soutenant la construction du gazoduc Nord Stream 2, entre la Russie et l’Allemagne (3). Avec les horreurs de la guerre en Ukraine, le président Volodymyr Zelensky et les États-Unis poussent à mettre en place des sanctions toujours plus dures contre la Russie, ce qui risque d’aggraver l’inflation et de plonger l’économie allemande dans la récession.  La coalition tripartite est divisée sur le sujet : du côté des Verts, le ministre de l’Économie Robert Habeck est prêt à envisager un embargo sur les importations d’énergies fossiles russes et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock propose de livrer des armes lourdes à l’Ukraine, alors que du côté des libéraux, le ministre des Finances Christian Lindner considère qu’à court terme l’Allemagne ne peut pas se passer des livraisons de gaz russe et le chancelier social-démocrate Olaf Scholz s’est refusé à donner son feu vert pour livrer une centaine de chars à l’Ukraine (4). Certes, la Bundeswehr est aujourd’hui une armée sous-équipée avec des stocks épuisés, mais avec la crise du Covid-19, l’Allemagne a déjà renoncé à l’orthodoxie budgétaire et la solidité de ses finances publiques peut lui permettre de financer les investissements nécessaires dans les domaines de la défense et de la transition énergétique.

L’inquiétude de l’Allemagne face à l’éventualité d’une victoire de Marine Le Pen

La satisfaction de voir Emmanuel Macron arrivé en tête, le 10 avril 2022, au premier tour de l’élection présidentielle en France, est effacée pas les craintes de l’ensemble de la classe politique allemande (à l’exception de l’extrême droite) pour l’avenir de l’Union européenne en cas de victoire de la candidate d’extrême droite au second tour. Sept mois après les élections législatives en Allemagne marquées par une campagne au centre, jamais la divergence de situation politique entre les deux pays n’avait été aussi grande.

 


  1. La guerre en Ukraine a déclenché la fin des tabous allemands en matière de politique extérieure. Tribune de l’historien Jean-Pierre Gougeon, Le Monde, 11 mars 2022. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/10/la-guerre-en-ukraine-a-declenche-la-fin-des-tabous-allemands-en-matiere-de-politique-exterieure_6116877_3232.html. Cinq points pour comprendre le pivot géopolitique de Scholz en Allemagne. Pierre Menerat, Le Grand Continent, 16 mars 2002. https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/16/cinq-points-pour-comprendre-le-pivot-geopolitique-de-scholz-en-allemagne/
  2. Présidence française de l’UE et sommet du 25 mars : l’éveil de l’Europe à la souveraineté. Sylvain Kahn, The Conversation, 28 mars 2022. https://theconversation.com/presidence-francaise-de-lue-et-sommet-du-25-mars-leveil-de-leurope-a-la-souverainete-180111
  3. La malédiction Nord Stream 2. Sylvie Kaufmann, Le Monde, 20 janvier 2022. Allemagne : le mea culpa de Frank-Walter Steinmeier. Carole Assignon, Deutsche Welle, 5 avril 2022. https://www.dw.com/fr/allemagne-frank-walter-steinmeier-angela-merkel-nord-sream-2/a-61372180
  4. L’Allemagne, le maillon faible de l’Europe. Robert Jules, La Tribune, 5 avril 2022. https://www.latribune.fr/economie/international/l-allemagne-le-maillon-faible-de-l-europe-912712.html

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