Le bilan européen d’Angela Merkel (2005-2021)

Angela Merkel © European Union 2018 – European Parliament

Après seize années au pouvoir, en Allemagne, à la tête de quatre coalitions dirigées par la CDU, Angela Merkel a cédé la chancellerie au social-démocrate Olaf Scholz le 8 décembre 2021. Dans un contexte marqué par une série de crises : crise financière en 2008, crise migratoire en 2015, crise du Covid-19 depuis 2020, la dirigeante conservatrice à la longévité politique exceptionnelle a imprimé sa marque à la politique de l’Union européenne. Quel bilan peut-on tirer de son action ?

L’action institutionnelle avec la rédaction du traité de Lisbonne en 2007

À la suite du « non » français à la Constitution européenne prononcé par référendum en 2005, c’est principalement sous la présidence allemande du Conseil de l’UE au premier semestre 2007 que s’est élaborée, dans le cadre d’une Conférence intergouvernementale, l’adaptation institutionnelle d’une Europe élargie à 25 pays en 2004, puis 27 en 2007.

Le pacte budgétaire européen comme réponse à la crise financière

La faillite de la banque américaine Lehman Brothers en septembre 2008, à la suite de la crise des subprimes aux États-Unis, se transforme en crise financière mondiale. L’Europe est touchée par une forte récession économique et les déficits publics se creusent. L’Allemagne d’Angela Merkel prône alors une politique de rigueur budgétaire et se heurte en particulier à la France dirigée par Nicolas Sarkozy, partisan d’une politique plus souple. Angela Merkel finit par se rallier au plan européen de sauvetage des banques, mais impose la signature du pacte budgétaire européen entré en vigueur en 2013 et qui est censé limiter le recours à l’endettement des États.

Une solidarité minimale pour sauver la Grèce

Après avoir touché les entreprises et les banques, la crise financière frappe les États européens les plus fragiles à travers la crise des dettes souveraines. Le creusement des déficits publics provoque des situations de surendettement en Irlande, Portugal, Espagne, Italie et surtout en Grèce. En 2012, Angela Merkel refuse toute annulation d’une partie de la dette grecque, envisage même la sortie de ce pays de la zone euro, mais finit par accepter le plan d’aide à la Grèce proposé par le président François Hollande en contrepartie d’une stricte politique de rigueur.

De l’accueil massif des réfugiés au pacte migratoire avec la Turquie

À partir de 2015, les réfugiés syriens fuyant la guerre civile se présentent massivement aux frontières balkaniques de l’Union européenne. La situation se transforme en crise migratoire car les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) refusent d’accueillir ces demandeurs d’asile et le dirigeant hongrois Viktor Orban s’oppose même au transit de ces personnes sur son territoire. Angela Merkel décide alors unilatéralement d’ouvrir les frontières de l’Allemagne aux réfugiés syriens qui seront plus d’un million à rejoindre ce pays. Cette politique d’ouverture n’est pas durable, pour limiter les flux migratoires sur le long terme, Angela Merkel négocie un pacte migratoire avec le président turc Erdogan en mars 2016. Les autres États européens se rallient à cet accord qui permet de maintenir en Turquie une grande partie des réfugiés syriens en échange d’une aide financière de six milliards d’euros.

Une plus grande solidarité européenne avec la crise du Covid-19

Début 2020, l’épidémie du coronavirus, partie de Chine, frappe les pays de l’Union européenne. La crise économique qu’elle provoque nécessite d’augmenter fortement les dépenses publiques. Dans un premier temps, Angela Merkel fidèle à la tradition d’orthodoxie financière reste sur la ligne des pays dits « frugaux » (Autriche, Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suède). Mais sous l’impulsion du président Emmanuel Macron, elle engage un tournant majeur de la politique allemande en acceptant l’idée de mutualisation des dettes au niveau européen. La proposition franco-allemande est reprise par la Commission européenne et débouche en juillet 2020 sur l’acceptation par l’ensemble des États membres d’un plan de relance de 750 milliards d’euros.

Face au réchauffement climatique, une politique énergétique controversée

Dès son accession au pouvoir, la chancelière allemande indique que la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité nationale, mais le poids de l’industrie automobile fait que l’Allemagne n’arrive pas à remplir les objectifs de réduction des gaz à effets de serre qu’elle s’est fixée. À la suite de l’accident de Fukushima en 2011, Angela Merkel décide de sortir du nucléaire. Cette décision nationale entre en collision avec la politique énergétique française et a un impact au niveau européen car l’Allemagne reste le plus gros pollueur du Vieux continent, avec un mix énergétique très dépendant du charbon et du gaz. Il en découle la construction du gazoduc Nord-Stream, qui à travers la mer Baltique devrait prochainement relier la Russie à l’Allemagne, projet critiqué par les États-Unis et des pays de l’UE comme la Pologne et les pays baltes. Cependant au cours de la présidence allemande du Conseil de l’UE au second semestre 2020, Angela Merkel a permis à l’Union européenne d’adopter l’objectif d’une baisse de 55 % des émissions de carbone à l’horizon 2035 par rapport à 1990.

Une politique étrangère encore loin de favoriser la mise en place d’une Europe puissance

Le traité de Lisbonne a créé le poste de Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, mais la politique étrangère reste d’abord une compétence nationale. L’Allemagne est une grande puissance économique mais reste militairement et diplomatiquement un acteur secondaire. Malgré les très mauvaises relations avec le président américain Donald Trump, Angela Merkel est restée attachée à l’appartenance de l’Allemagne à l’Otan, ce qui ne favorise pas la mise en place d’une Europe de la défense proposée par le président Emmanuel Macron. En 2014, la guerre en Ukraine et l’annexion de la Crimée ont entraîné la mise en place de sanctions européennes à l’égard de la Russie, mais Angela Merkel a maintenu le dialogue avec le président Vladimir Poutine. D’une façon générale dans la politique allemande, la défense des intérêts économiques est passée devant les préoccupations liées aux droits de l’homme, conduisant par exemple à un accord de principe sur les investissements entre l’UE et la Chine en décembre 2020, mais dont l’adoption définitive est bloquée par le Parlement européen.

Le bilan européen de la chancelière est nuancé. De crise en crise, il est marqué par le sens du compromis et le pragmatisme qui ont permis sur le tard d’orienter l’UE vers une plus grande solidarité financière.


Pour aller plus loin :

Allemagne : le bilan européen d’Angela Merkel après 16 ans au pouvoir. France Info, 22 septembre 2021. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/allemagne-le-bilan-europeen-dangela-merkel-apres-16-ans-au-pouvoir_4780113.html

Angela Merkel, une grande Européenne… malgré elle. Le Point, 25 septembre 2021. https://www.lepoint.fr/monde/angela-merkel-une-grande-europeenne-malgre-elle-25-09-2021-2444656_24.php

Merkel, l’heure du bilan : une Européenne à la peine. RFI, 25 septembre 2021. https://www.rfi.fr/fr/europe/20210925-merkel-l-heure-du-bilan-une-européenne-à-la-peine

Le couple franco-allemand sous Angela Merkel : quatre mariages sans enterrement. The Conversation, 23 septembre 2021.  https://theconversation.com/le-couple-franco-allemand-sous-angela-merkel-quatre-mariages-sans-enterrement-168596

Quelle Allemagne après Merkel ? Institut Montaigne, septembre 2021. https://www.institutmontaigne.org/publications/quelle-allemagne-apres-merkel

Allemagne/Union européenne, l’héritage ambigu d’Angela Merkel. Politique étrangère, vol. 86, n° 3, automne 2021. https://www.ifri.org/fr/publications/politique-etrangere/articles-de-politique-etrangere/allemagneunion-europeenne-lheritage

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