Le discours sur l’état de l’Union

© Union européenne, 2021 – Union européenne, 2021 – Dati Bendo

Les médias, du moins en France, ont peu rendu compte du discours sur l’état de l’Union  prononcé le 15 septembre par la Présidente de la Commission devant le Parlement européen. Le discours de Mme von der Leyen a été quelque peu éclipsé par l’affaire afghane et le début de la crise diplomatique entre la France et le bloc anglo-saxon consécutive à l’annulation de la commande australienne de sous-marins français. Ce discours de près de 90 minutes mérite pourtant qu’on s’y arrête.

Le 15 septembre, la Présidente de la Commission a dressé le bilan de l’année écoulée et donné des perspectives pour l’Europe de l’après Covid.

S’agissant du bilan, elle a constaté, pour s’en féliciter, que les résultats étaient là : en matière de crise sanitaire, elle souligne que, en dépit d’un retard au démarrage,  plus de 70 % de la population de l’Union est entièrement protégée et que l’Union continue à assumer une solidarité indispensable avec les pays pauvres par l’envoi de près de 700 millions de  vaccins dans 13 pays ; en matière de relance économique, elle a rappelé que l’argent du plan européen a commencé à être distribué aux Etats membres et doit permettre à la majorité d’entre eux de retrouver le niveau de production d’avant pandémie. Ce satisfecit, néanmoins, reste prudent : pas de triomphalisme sanitaire : « le temps du coronavirus n’est pas derrière nous » et prudence économique : « À l’époque de la crise financière, l’Europe avait crié victoire trop tôt, et nous en avons payé le prix. Nous ne referons pas cette erreur ». 

Ce satisfecit même atténué n’est pas une grande surprise ! Mais qu’a donc annoncé Madame von der Leyen ?  

 La présidente de la Commission s’est engagée à poursuivre les grands chantiers entamés et ils sont nombreux :

  • mettre en application le plan européen climat ;
  • donner corps au nouveau Bauhaus européen. Annoncé en septembre 2020, lancé en janvier 2021, ce projet transversal, à la fois environnemental, économique et culturel vise à concilier durabilité, inclusion et esthétique et, à ce titre, s’inscrit dans le Pacte vert ;
  • mieux se préparer pour faire face aux pandémies avec la création de HERA, la nouvelle Autorité européenne de préparation et d’intervention en cas d’urgence sanitaire;
  • s’attaquer aux problèmes structurels de l’économie de certains pays comme le marché du travail en Espagne ou les systèmes de retraite en Slovénie ;
  • réaliser la transformation numérique avec entre autres l’absolue nécessité de « créer un écosystème européen des semi-conducteurs à la pointe du progrès intégrant la production » ;
  • porter une attention particulière à la jeunesse (2022 est proclamée Année de la Jeunesse européenne) avec un effort spécifique en direction des jeunes défavorisés auxquels sera proposée une expérience de mobilité professionnelle à l’étranger ;        
  • accentuer la lutte contre les violences faites aux femmes avec l’annonce d’une proposition de directive d’ici la fin de l’année.

Rien de très nouveau dans tout ça penseront certains,  sauf l’insistance de la Présidente de la Commission sur le thème de l’Europe de la Défense à partir du constat que si les capacités existent, la volonté politique manque. D’où l’énoncé de plusieurs propositions : améliorer la coopération entre Etats membres en matière de renseignement avec la création d’un centre d’analyse commun, renforcer l’interopérabilité des matériels et des moyens et développer une cyberdéfense européenne.

Plusieurs facteurs expliquent cette insistance à évoquer une Europe de la Défense.

N’oublions pas que Mme von der Leyen avant de devenir présidente de la Commission occupait le poste de ministre allemande de la Défense. Elle connaît donc bien le dossier.

Le retrait d’Afghanistan des forces de l’OTAN imposé par les Américains, retrait qu’elle évoque dans son discours, n’a pu que la conforter dans l’idée de la nécessité de bâtir une Union européenne de la Défense.

Et il est fort probable que la crise diplomatique ouverte le jour même du discours par l’annonce de l’alliance stratégique Aukus entre Canberra, Londres et Washington, avec mise à l’écart de la France a renforcé la conviction à Bruxelles que l’Union a besoin d’acquérir une autonomie stratégique. Bien que symbolique et quelque peu tardif, le soutien apporté à la France par le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et par le Conseil unanime montre que les esprits évoluent. Mais la route risque d’être encore longue et il n’est pas certain que l’année 2022 permette d’avancer sur le dossier de la Défense européenne et plus généralement sur l’autonomie stratégique européenne. 

En effet, divers obstacles se dressent sur le chemin.   

Compte tenu des réticences voire des résistances de certains Etats membres du nord et de l’est de l’Europe, et après le départ du Royaume-Uni, partenaire important dans ce domaine, la construction d’une défense européenne repose sur la seule volonté politique franco-allemande. Or, à court terme, malgré les progrès de la coopération industrielle militaire[1], une initiative forte en matière de défense commune est peu envisageable. En effet, les divergences restent sensibles entre les deux pays sur le thème de l’autonomie stratégique comme l’a montré la passe d’armes en 2020, entre le président français et la ministre de la Défense allemande. Mais, surtout, durant les mois à venir, en Allemagne comme en France, le pouvoir politique ne sera guère en capacité de proposer et d’entraîner.  

L’Allemagne d’après élections entre dans une longue période de négociations programmatiques pour constituer une coalition gouvernementale. Ainsi, sans doute jusqu’à la fin de l’année, l’incertitude politique risque d’interdire toute initiative et même tout soutien à une initiative forte. Quant à la France, orpheline de l’Allemagne, en dépit de la présidence du Conseil de janvier à juin 2022 mais en raison de la campagne électorale, son pouvoir d’impulsion ne cessera de s’affaiblir au fil des semaines.

Du fait de l’impuissance intergouvernementale, le risque est grand d’un enlisement du dossier de la défense européenne, dossier majeur pour le projet européen. C’est sans doute pour échapper à la paralysie complète que la Présidente de la Commission a proposé, non sans surprendre, la tenue d’un Sommet européen de la Défense à Toulouse au premier semestre 2022.


[1] Le Parlement européen a adopté en avril 2021 le budget alloué au Fonds européen de la défense  pour 2021-2027 : 7,9 milliards €. Le lancement officiel du Fonds a eu lieu en juin 2021.

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