Le Parquet européen

Le Parquet européen[1]

L’idée d’un espace judiciaire européen est ancienne puisqu’elle a été avancée en 1977, lors d’un Conseil européen, par le Président Giscard d’Estaing et encore en 1982 avec la proposition française de création d’une Cour pénale européenne. Sans succès. Il faut la signature du Traité de Maastricht pour que soient définies les bases d’une simple coopération judiciaire en matière pénale.

L’idée d’un Parquet européen est, elle aussi, ancienne : la création en est réclamée en 1996 à la fois par le président du Parlement européen de l’époque et par des magistrats anticorruption qui lancent l’appel de Genève pour un espace judiciaire européen avec l’objectif de lutter efficacement contre les malversations financières. Un an plus tard, à la demande de la Commission et sous la coordination de Mme Mireille Delmas-Marty, éminente juriste française, le projet pénal CORPUS JURIS propose l’instauration d’un ministère public européen. La suggestion est reprise, en 2001, dans le Livre Vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen. Inscrite dans le Traité de Nice, cette création figure dans le traité de Lisbonne (2007), article 86 du TFUE. Pourtant, malgré en 2011 une communication de la Commission et, en 2013, une proposition de règlement du Conseil, les négociations entre Etats membres échouent devant l’opposition de certains d’entre eux qui redoutent d’abandonner certaines prérogatives nationales. Il faut attendre 2017 pour que 16 Etats membres annoncent leur intention de lancer une coopération renforcée afin de créer un Parquet européen, ce qui est acquis à la fin de l’année. Deux ans plus tard, le Parlement européen et le Conseil nomment Mme Laura Codruta Kövesi, de nationalité roumaine,  première cheffe du Parquet européen[2]. L’entrée en fonction prévue pour le mois de novembre 2020 est repoussée en raison de la crise sanitaire et du retard pris par plusieurs Etats membres dans la désignation de leurs procureurs délégués. Elle a lieu le 1er juin 2021 et concerne 22 Etats membres[3].

Ainsi que le stipule le règlement d’octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée pour la création du Parquet européen, ce dernier a pour mission de rechercher, de poursuivre et de traduire en justice les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (fraude au-delà de 10 000 €, fraude transfrontalière grave à la TVA – seuil de 10 millions € de préjudice-, détournements de fonds, corruption, blanchiment de capitaux).

Jusque-là, compétence pénale exclusive des Etats oblige, seules les autorités nationales étaient habilitées à mener des enquêtes et à engager des poursuites contre la fraude portant atteinte au budget de l’UE. Elles le faisaient avec leurs moyens, parfois limités, et dans le seul espace national. La lutte contre la criminalité transfrontière reposait donc sur la coopération judiciaire et policière au prix de procédures souvent longues et d’efficacité relative.

Dorénavant, dans les territoires nationaux des 22 Etats parties prenantes, le Parquet européen, doté de compétences judiciaires propres, a pour mission d’engager des poursuites devant les juridictions compétentes des Etats membres contre les acteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Parquet financier, il doit permettre d’agir rapidement dans des affaires financières transfrontières qui constituent la part principale de la fraude au budget de l’UE.

Le Parquet européen, dans le règlement qui le crée, est défini comme une « structure unique à structure décentralisée ». Il s’organise en deux niveaux :

  • au niveau de l’UE, basé à Luxembourg, le Bureau central réunit le/la chef.fe du Parquet européen désigné.e pour 7 ans, non renouvelable et les procureurs européens choisis par le Conseil (1 par Etat parmi 3 candidats proposés par chacun des pays). Le mandat de ces derniers est de 6 ans, non renouvelable avec rotation partielle tous les ans pour un tiers des Etats. Outre le collège des procureurs, 15 chambres permanentes composées chacune de trois procureurs européens surveillent les enquêtes et suivent les poursuites engagées ;
  • au niveau décentralisé, dans chaque Etat membre, des procureurs délégués nommés par les Etats pour 5 ans – mandat renouvelable une fois – mènent les enquêtes et engagent les poursuites pénales dans chaque pays en lien avec les autorités nationales. Ces procureurs délégués sont supervisés pour des raisons de facilité linguistique et de proximité culturelle par le procureur européen de même nationalité. Au total près de 140 procureurs délégués, en situation de détachement et rémunérés par l’Union européenne doivent être désignés dont 5 pour la France installés au sein du Parquet national financier à Paris, 11 pour l’Allemagne et 15 pour l’Italie.

Le Parquet européen est un collège indépendant. Cette indépendance repose sur le mode de nomination des procureurs européens évoqué plus haut et sur le principe selon lequel le Parquet « ne sollicite, ni n’accepte jamais d’instructions européennes ou nationales ». Cette indépendance est renforcée par le double fait que les procureurs européens délégués peuvent ouvrir un dossier après signalement ou se saisir d’une affaire en cours et que leur action est contrôlée par des chambres permanentes qui traitent de dossiers sans lien avec le pays concerné. Ainsi, une enquête conduite en France peut être attribuée à une chambre permanente composée d’un procureur allemand, d’un procureur letton et d’un procureur autrichien.

Selon Frédéric Baab, procureur européen proposé par la France : « Le parquet européen n’est pas seulement un projet audacieux, c’est aussi un bouleversement pour les ordres juridiques internes en particulier dans les pays, comme la France, qui connaissent encore le juge d’instruction »[4].
Mise en concurrence avec le juge d’instruction ? Suppression à terme de la subordination des procureurs nationaux au pouvoir exécutif ? L’histoire reste à écrire.


[1] Le nom officiel est Bureau du Procureur général européen ou, en anglais, European Public Prosecutor’s Office (EPPO).

[2] Ex-procureure au sein du Parquet près la Haute Cour de cassation et de justice de Roumanie,  Laura Codruta Kövesi a mené un combat déterminé contre la corruption dans son pays aboutissant à la mise en examen de 14 ministres ou anciens ministres, plus de 40 parlementaires et près de 260 élus locaux.

[3] La Suède, la Pologne et la Hongrie ont décidé de ne pas participer au mécanisme. Le Danemark et l’Irlande utilisent leur dérogation en matière de justice et d’affaires intérieures.

[4] Frédéric Baab, Le parquet européen : un projet entre audace et réalisme politique,  https://doi.org/10.30709/eucrim-2021-002.