L’Europe de l’électricité, un marché en crise ?

© Alexander Stein de Pixabay

La mise en place du marché européen de l’électricité s’est faite par étapes, de la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, à coup de paquets législatifs successifs et selon un double processus de libéralisation et d’interconnexion.

La libéralisation c’est l’ouverture progressive des marchés à tous les producteurs afin d’assurer la fourniture de meilleurs produits et services aux consommateurs et aux entreprises, à des prix abordables, ainsi qu’une sécurité de l’approvisionnement. Depuis 2004, les gros consommateurs d’énergie (professionnels, entreprises et collectivités locales) sont libres de choisir leur opérateur d’électricité  et, depuis le 1er juillet 2007, il en est de même pour les  particuliers. Par ailleurs, en 2009, afin de favoriser la concurrence, la gestion des réseaux de transport d’énergie et les activités de production et de fourniture sont séparées. Mais cette libéralisation est loin d’être complète en raison de maintien de règles nationales (fixation de prix, protection du marché…).

L’interconnexion des réseaux électriques nationaux vise à réduire les coûts et à sécuriser l’approvisionnement du continent, tout en avantageant les énergies propres. L’Union par l’intermédiaire du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe créé en 2013 soutient les investissements pour le développement d’infrastructures énergétiques d’intérêt commun. Aujourd’hui, plus de 400 interconnexions dont 50 aux frontières françaises, relient 35 pays qui s’échangent de l’électricité à travers le continent et plus de 300 000 kilomètres de lignes électriques fonctionnent sur la même fréquence (50 Hz).

Dès 2009, l’Union européenne a délégué aux gestionnaires des réseaux de transport d’électricité (GRT) le développement d’un réseau européen intégré. 43 gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (comme RTE en France ou Terna en Italie) sont ainsi connectés à l’échelle européenne. Le Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport de l’électricité est tout à la fois conseillé et surveillé par l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER)[1].

Sur le marché européen de l’électricité existe un prix commun aux 27. Il s’agit du prix de gros négocié entre les producteurs et les fournisseurs sous deux modalités possibles : le contrat commercial pour une fourniture à terme (année, trimestre, mois) qui assure aux fournisseurs l’assurance d’approvisionner leurs clients et l’achat boursier le jour J pour le lendemain sous forme d’enchères sur le marché à court terme appelé marché spot qui permet de coller à la demande réelle du moment.

En aval, les fournisseurs fixent un prix de détail pour les consommateurs finaux, particuliers et entreprises et proposent des contrats selon différents tarifs : réglementés, fixes, etc.

L’électricité ne se stockant pas, la production doit à tout moment être égale à la consommation. L’équilibre entre l’offre et la demande se fait au coût le plus faible possible et repose sur le recours en priorité au moyen de production le moins onéreux du moment. C’est ce qu’on appelle le principe du coût marginal de production c’est-à-dire le coût du dernier kilowattheure produit, sachant que les centrales électriques sont sollicitées selon un ordre de mérite. En priorité les centrales au coût de fonctionnement journalier le plus faible jusqu’à recourir, en cas de nécessité, aux centrales électriques au gaz, le gaz fixant alors le prix de gros du marché.

En cas de faible consommation, les renouvelables suffisant à couvrir les besoins, le prix de gros du marché est bas. Quand la demande est forte, il y a nécessité de solliciter les centrales à charbon ou à gaz au coût de production plus élevé.

Les échanges transfrontaliers, en plus d’assurer l’équilibre du réseau, aident à faire baisser les prix dans les pays importateurs à un moment précis car ils sont proposés lorsqu’un écart de prix est enregistré entre 2 pays.

Depuis près de deux ans, le marché européen de l’électricité est entré en crise.

En un an, entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, le prix de gros de l’électricité en Europe a augmenté, en moyenne, de 181 %. En moyenne car il existe de fortes disparités entre les Etats membres : ainsi, si dans un quart des Etats membres, la hausse est inférieure à 160 %, elle dépasse les 210 % dans plus de la moitié, la France avec 254 % détenant le record de hausse sans être néanmoins le pays dans lequel le MWh (Mégawattheure) est le plus cher (226 € contre 249 en Italie).

Cette hausse résulte de plusieurs facteurs :

  • à la mi année 2021 la forte reprise de l’activité économique a généré « un pic de demande d’électricité satisfaite par la mise en service de centrales à gaz » et le prix de gros est passé de 50 €/MWh à 222 € à la fin de l’année 2021. Avec la guerre en Ukraine mais aussi la baisse de la production française d’électricité nucléaire et d’hydroélectricité, le prix de gros du gaz s’est trouvé décuplé ce qui a provoqué une explosion des prix de gros de l’électricité au cours de l’été 2022, jusqu’à 700 €/MWh[2].
  • Mais le prix de gros ne constitue qu’une partie du prix de détail de l’électricité réglé par le consommateur : ainsi, en 2021, en France, la fourniture en elle-même représente 24 %, 18 % en Allemagne, l’acheminement par les réseaux 34 %, 24 % en Allemagne et les taxes, en France 42 % dont 7 % pour la TVA, 58 % en Allemagne dont 11 % pour la TVA. On le voit, toute évolution du prix de gros ne se répercute donc pas de la même façon sur le prix de détail. Les Etats dans leur lutte contre la hausse des prix ont des possibilités d’agir comme l’a fait la France en 2022 avec un bouclier tarifaire qui limite l’augmentation du prix règlementé et abaisse les taxes.

Pour contrer cette hausse, début septembre la Commission a proposé 5 mesures :

  • une réduction de la consommation d’électricité aux heures de pointe pour éviter les pics de demande,
  • un plafonnement du prix du gaz russe importé,
  • un plafonnement des revenus des sociétés qui produisent une électricité peu coûteuse, comme le secteur des énergies renouvelables,
  • une “contribution de solidarité” des entreprises de combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon…), qui connaissent des profits “massifs” et “inattendus”, selon les mots d’Ursula von der Leyen,
  • une aide aux fournisseurs qui manquent de liquidités sur le marché.

Le Conseil, quelques jours plus tard a adopté un plafonnement provisoire du gaz et une « contribution de solidarité » sur les entreprises énergétiques en surprofit.

L’effet limité de ces mesures a incité une Commission européenne jusque-là réticente à engager une réforme du marché de l’électricité comme le réclamaient depuis 2021, la France et l’Espagne mais que refusaient les pays nordiques et l’Allemagne.

A la mi-mars 2023, la Commission a proposé plusieurs mesures pour assurer « aux ménages et aux entreprises de l’Union, un accès généralisé et à un prix abordable à l’électricité produite à partir de sources renouvelables et non fossiles ». Le couplage des prix du gaz et de l’électricité ayant permis d’échapper aux ruptures d’approvisionnement, sera conservé. Mais pour lutter contre la volatilité des prix, le recours à des contrats à long terme entre producteurs d’énergie décarbonée et entreprises sera encouragé. La protection du consommateur reposera sur une plus grande transparence (informations plus claires sur les marchés, choix plus grand de contrats) et, dans les Etats, des fournisseurs en dernier ressort seront établis afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité. Il est prévu qu’en cas de crise, les Etats puissent fixer les prix de détail pour les ménages et les petites entreprises.

Par ailleurs, les Etats seront autorisés à investir dans des installations renouvelables par le biais de contrats de long terme dits de contrat pour différence (CFD) à prix garanti par l’Etat. Le CFD garantit un revenu minimal au producteur d’électricité et à l’inverse un reversement des revenus engrangés au-delà d’un certain prix. La France a obtenu que le nucléaire, centrales anciennes et nouvelles, soit inclus dans le mécanisme.

Une réformette disent certains commentateurs ! Un compromis sûrement que les Etats ainsi que le Parlement européen vont discuter dans les semaines à venir.


[1] Agence de l’UE, en activité depuis 2011, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (siège Ljubljana en Slovénie), aide les autorités de régulation nationales à exercer et à coordonner leurs tâches réglementaires au niveau européen

[2] Le prix journalier (spot) de l’électricité est passé de plus de 400 €/MWh début décembre 2022  à  un peu plus de 100 €/MWh début janvier 2023.

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