L’Union européenne et la réforme des retraites en France

© Aurélien callamard de Flickr

La réforme des retraites en France a ouvert une crise sociale et politique majeure observée avec attention dans les autres pays de l’Union.  Cela suffit-il à faire de l’Union un acteur du dossier ?

En France, des partisans comme des opposants à la réforme ont essayé d’ « européaniser » leur argumentaire.

  • Fin janvier 2023, à l’occasion d’un déplacement aux Pays-Bas, le président de la République a déclaré : « Cette réforme est indispensable quand on se compare en Europe et quand on regarde la nécessité que nous avons collectivement de préserver et sauver notre système de retraite par répartition ». » Le président français laisse entendre qu’il existe un « modèle » européen vers lequel le pays doit converger pour pérenniser le système national. La question est de savoir quel est ce modèle ?
    • En termes d’âge légal de départ en retraite, si la majorité des pays l’ont fixé autour de 65 ans, pour 4 pays (Suède, Grèce, France, Slovaquie) on est en-dessous de 63 ans et pour 4 autres (Danemark, Italie, Pays-Bas, Portugal), au-delà de 66 ans. Par ailleurs, plusieurs pays opèrent une distinction entre les sexes : Autriche et Pologne (hommes 65 ans/femmes 60 ans), Roumanie (65/61,10), Bulgarie (64,5/61,10), Croatie (65/63), Lituanie (64,4/63,8).
    • S’agissant de l’âge effectif de départ, il est inférieur d’une année au moins pour 17 pays sur 27 avec parfois un écart très large : ainsi près de 6 ans au Luxembourg (légal 65/effectif 59,3), de 5 ans  en Italie (67/62,7), de 4 ans au Danemark (67/63,8). En Allemagne, il est inférieur de 2 ans (65,10/63,1). Dans quelques pays, la distorsion est inverse : ainsi en Suède (62/65,8), en Lettonie (64,6/66,3) et en France (62/63).
    • On retrouve la même diversité dans le financement des retraites : si le régime de base obligatoire est financé par répartition[1], la différence entre les pays tient à la part accordée à la capitalisation dans le financement des retraites complémentaires. Très réduite dans certains pays comme la France où elle ne concerne que quelques régimes obligatoires, cette part est prépondérante aux Pays Bas.
    • Le calcul du montant des pensions de base donne lieu à une distribution des pays selon trois modes principaux : 14 pays dont la France ont opté pour un régime en annuités avec prestations définies mais avec des durées de cotisation variables d’un pays à l’autre, 5 pays (Allemagne, Chypre, Slovaquie, Roumanie et Estonie) ont un système par points avec cotisations définies et 5 autres un système notionnel (Suède, Italie, Pologne, Danemark et Lettonie)[2] .

Et on pourrait multiplier les critères d’analyse (dépenses des retraites dans le PIB, valeur de la retraite par rapport au dernier salaire, taux d’emploi des seniors…). A l’évidence, il y a autant de systèmes que de pays selon le principe « qu’il incombe aux Etats membres de décider des systèmes de pension qu’ils souhaitent »[3]. C’est sans doute ce qui explique que l’argument présidentiel de l’alignement sur un modèle européen introuvable, bien que manié au début par quelques ministres, n’a pas été repris par la suite.

  • Mi-janvier 2023, sur une chaîne TV plutôt bienveillante, Madame Lavalette, députée RN assène : « Cette réforme des retraites obéit aussi à une injonction de Bruxelles. On a quand même fait comprendre à notre gouvernement qu’il fallait que ça passe avant l’été 2023 pour avoir l’argent du plan de relance ».

Le propos, un peu surprenant, (une injonction par persuasion !) mérite pourtant qu’on s’y arrête.

Ainsi, l’Union européenne imposerait à la France de réformer les retraites !

En 2012, la Commission a publié, un « Livre blanc sur les retraites » intitulé « Une stratégie pour des retraites adéquates, sûres et viables » dans lequel sont décrits les chantiers à ouvrir : équilibre durée de vie professionnelle/durée de la retraite, épargne retraite complémentaire privée… Le document non contraignant doit permettre « une discussion fructueuse avec les Etats membres, le Parlement européen, sans oublier les partenaires sociaux ».

En 2017, le Conseil européen adopte le Socle européen des droits sociaux, qui, en son principe 15[4], dispose que « Les travailleurs salariés et non salariés ont droit, lorsqu’ils prennent leur retraite à une pension proportionnelle à leurs cotisations et leur assurant un revenu adéquat. Les femmes et les hommes doivent avoir les mêmes chances d’acquérir des droits à pension». Texte solennel mais non contraignant. 4 ans plus tard, en mai 2021, les 27 acceptent le plan de mise en application du Socle, avec pour objectifs 2030, l’emploi, la formation et la pauvreté. Il n’est aucunement question d’une réforme des retraites.

Cela ne signifie pas que l’Union ignore la question des retraites. La Commission européenne fait montre d’une grande vigilance quant à la situation des pays dont le régime de retraite présente des « risques pour la soutenabilité des finances publiques à moyen terme ».

Ainsi, en mai 2018, alors que la dette publique franchit la barre des 100 % du PIB, la Commission rappelle à la France l’engagement à réformer son système de retraites que le pays a pris en juillet 2017 et inscrit dans son programme national de réformes remis à la Commission en avril 2018. La réforme de 2019-2020, suspendue et bientôt abandonnée en raison du Covid, un nouveau projet voit le jour bâti sur le relèvement de l’âge légal de départ de 62 à 65 ans. Or la Commission n’a aucunement préconisé  une telle  mesure d’âge qui relève de la seule responsabilité du pays.

On le voit, en guise d’injonction, plutôt une invitation à honorer ses engagements.

Et que penser de l’affirmation selon laquelle la réforme des retraites serait la contrepartie du versement à la France des 40 milliards d’euros de l’Union au titre du plan de relance ?

Dans le plan national de relance et de résilience présenté par la France et approuvé en juillet 2021 par le Conseil est évoquée, entre autres projets, la réforme du système de retraites. Mais comme l’analyse la Commission : « la réforme du système des retraites n’est incluse dans aucune mesure du plan français et n’est donc associée à aucun élément livrable (jalon ou cible) au titre de la facilité pour la reprise et la résilience.” Par conséquent, on ne voit pas comment la Commission pourrait suspendre le versement des fonds européens. Affirmer le contraire démontre une piètre connaissance du fonctionnement de l’Union.

Remarquons pour finir que, hors des réseaux eurosceptiques, l’argument du « dictat » européen n’a pas vraiment convaincu.

Bien que suivie de près par les autorités européennes et malgré les tentatives d’«européaniser » le dossier, la réforme des retraites est un projet français dont la réalisation dépend de décisions avant tout nationales[5].


[1] En France, les retraites complémentaires des salariés du privé se calculent par points.

[2] Sauf en Irlande où le citoyen peut faire le choix de la capitalisation.

[3] Rapport du Comité pour la protection sociale sur « des pensions sûres et viables ». Juin 2001.

[4] Principe 15, – chapitre III. Protection sociale et inclusion sociale, article 14a.

[5] Les surligneurs, juin 2022, www.lessurligneurs.eu/

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