La réforme de l’organisation du marché européen de l’électricité : ça marche !

© EC – Audiovisual Service – 2023 – Xavier Lejeune

Il y a un peu moins de trois ans, l’Union européenne a connu une crise de l’électricité. Entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, le prix de gros de l’électricité en Europe a augmenté, en moyenne, de 181 %. En moyenne car de fortes disparités ont existé entre les Etats membres :  ainsi, si dans un quart des Etats membres, la hausse a été inférieure à 160 %, elle a dépassé les 210 % dans plus de la moitié, la France avec 254 % détenant le record de hausse sans être néanmoins le pays dans lequel le MWh était le plus cher (226 € contre 249 en Italie).

Pour rappel, le prix de gros se forme sur le marché de gros, en réalité plusieurs marchés boursiers (ainsi en France : EPEX Spot et Nord Pool Spot)  où les producteurs vendent de l’électricité aux fournisseurs le jour même, la veille pour le lendemain ou plusieurs mois voire années à l’avance. L’interconnexion des réseaux en favorisant les échanges aide à dégager un prix commun : ainsi le 14 octobre 2022, le prix spot s’établissait à 262 € le MWh en France, Benelux, Allemagne, Autriche et Italie.

Le prix de l’électricité réglé par les consommateurs résulte pour partie du mécanisme de formation du prix de gros journalier qui dépend du coût du dernier mégawattheure produit dans la dernière centrale électrique sollicitée qui est le plus souvent une centrale à gaz. Le gaz fixe alors le prix de gros du marché.

Mais le prix de gros ne constitue qu’une partie du prix de détail de l’électricité réglé par le consommateur : s’y ajoutent le coût de l’acheminement et la fiscalité (TVA) variables selon les pays. On le voit, toute évolution du prix de gros ne se répercute donc pas de la même façon sur le prix de détail et les Etats dans leur lutte contre la hausse des prix ont des possibilités d’agir.

Au cours de l’été 2022, le prix de gros de l’électricité a explosé à près de 700 €/MWh, sous le coup de 3 phénomènes qui se sont cumulés : d’une part, un pic de demande d’électricité lié à la forte reprise de l’activité économique et satisfait par la mise en service de centrales à gaz ; d’autre part, la guerre en Ukraine qui a provoqué un décuplement du prix du gaz et, enfin, la baisse de la production française d’électricité nucléaire et d’hydroélectricité.

Face à cette explosion, la Commission a proposé 5 mesures :

  • une réduction de la consommation d’électricité aux heures de pointe pour éviter les pics de demande ;
  • un plafonnement du prix du gaz russe importé ;
  • un plafonnement des revenus des sociétés qui produisent une électricité peu coûteuse, comme le secteur des énergies renouvelables ;
  • une “contribution de solidarité” des entreprises de combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon…), qui connaissent des profits « massifs » et « inattendus », selon les mots d’Ursula von der Leyen ;
  • une aide aux fournisseurs qui manquent de liquidités sur le marché.

Le Conseil, quelques jours plus tard, a adopté un plafonnement provisoire du gaz et une « contribution de solidarité » sur les entreprises énergétiques en surprofit.

Mais ces mesures s’étant avérées insuffisantes, la Commission, jusque-là réticente, a décidé d’entreprendre une réforme du marché de l’électricité réclamée depuis 2021 par certains pays (France, Italie, Espagne) mais refusée par d’autres (pays nordiques et Allemagne).

Après deux ans d’âpres négociations entre les Etats membres, singulièrement France et Allemagne, la réforme a été finalisée le 14 décembre 2023. Elle poursuit plusieurs objectifs : rendre les prix de l’électricité moins dépendants de la volatilité des prix des combustibles fossiles, protéger les consommateurs contre les flambées des prix, accélérer le déploiement des énergies renouvelables et  améliorer la protection des consommateurs.

Pour lutter contre la volatilité des prix, le développement de contrats d’achat d’électricité de long terme à un prix décidé d’avance (PPA) entre producteurs d’énergie décarbonée et entreprises sera encouragé.

Pour accélérer le déploiement des énergies décarbonées – bas carbone, les Etats seront autorisés à investir dans des installations renouvelables (éolien, solaire, géothermique, hydroélectricité) par le biais de contrats de long terme dits « de contrat pour différence (CFD) » à prix garanti par l’Etat. Le CFD « garantit un revenu minimal au producteur d’électricité et à l’inverse, un reversement des surprofits engrangés au-delà d’un certain prix ». La France a obtenu que le nucléaire, centrales anciennes et nouvelles, soit inclus dans le mécanisme[1].

Pour protéger le consommateur contre les flambées des prix, il est prévu qu’en cas de crise les Etats pourront fixer les prix de détail pour les ménages et les petites entreprises. Enfin l’amélioration de la protection des consommateurs reposera sur une plus grande transparence (informations plus claires sur les marchés, choix plus grand de contrats) et, dans les Etats, sur  une attention particulière portée aux consommateurs les plus vulnérables avec l’établissement de fournisseurs en dernier ressort.

Cependant, la réforme maintient le couplage des prix du gaz et de l’électricité qui a permis, grâce à la forte interconnexion du marché de court terme, d’échapper aux ruptures d’approvisionnement.

Une réformette disent certains commentateurs notamment français ? Réponse dans trois ans avec l’entrée en vigueur des CFD. Mais une fois de plus les Européens ont démontré que dans la crise ils savaient forger des compromis.


[1] La France compte recourir au CFD pour  remplacer en 2025,  l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), un dispositif qui depuis 2011, permet aux fournisseurs d’électricité concurrents d’EDF de racheter une partie de sa production nucléaire à un tarif actuel de 42 €/MWh.

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